Verrerie de Prodhun

Aussi connue sous : Verrerie de Saint-Sernin-du-Bois

Noms et raisons sociales au fil du temps

  • Verrerie de Saint-Sernin-du-BoisNom d'Usage
    Période : 1730-1802

    Bien qu'actuellement situé sur la commune d'Antully, le site de la verrerie dépendait de la paroisse de Saint-Sernin-du-Bois, plus proche et dans laquelle se trouvait le Prieuré.

Histoire

Une histoire sortie des archives.

Au XVIIIe siècle, au cœur d'une Bourgogne forestière et industrieuse, naît, vit et s'éteint une entreprise qui, sans les hasards de la conservation archivistique et la passion de la recherche, aurait pu sombrer dans l'oubli. La Verrerie de Prodhun n'est pas qu'une simple manufacture ; elle est le théâtre d'une ambition familiale prestigieuse, un carrefour de savoir-faire européens, et le lieu de vie de dizaines d'artisans dont le destin, gravé dans les registres paroissiaux, nous permet aujourd'hui de corriger les légendes et de reconstituer la véritable épopée. De l'héritage illustre de son fondateur à sa fin, désormais documentée, voici l'histoire redécouverte de la Verrerie de Prodhun.

Le fondateur et ses commanditaires - L'héritage d'Altare en terre bourguignonne

Un homme d'une lignée prestigieuse

L'histoire de Prodhun commence avec un homme qui n'est pas un aventurier, mais l'héritier d'une des plus grandes dynasties verrières du royaume : Jacques de Sarode de Mussy. Né bien loin de Prodhun, il est baptisé le 18 décembre 1686 à Rémilly, dans la Nièvre. Son ascendance est un concentré de l'aristocratie du verre :

  • Son père, Jean Claude de Sarode, est écuyer, sieur de Mussy, seigneur de Fontanelle et maître des verreries de la Bouë et de Chénambret.
  • Sa mère, demoiselle Claude de Chargère, appartient à une autre famille influente.
  • Sa grand-mère paternelle, Marie du Houx, est très certainement liée à la grande famille verrière du même nom.

Cette lignée nivernaise des Sarode est sans le moindre doute la descendante des fameux Saroldi/Sarraud d'Altare, ces maîtres verriers italiens que Louis de Gonzague, duc de Nevers, fit venir à la fin du XVIe siècle pour établir sa célèbre manufacture.

Le choix de Prodhun et le début de l'activité

Porteur de ce savoir-faire séculaire, Jacques de Sarode traverse le Morvan pour implanter sa propre verrerie à l'est, sur les terres de Prodhun. Le bois y est abondant, ressource vitale pour les fours et la production de potasse. Cette installation est une "bonne aubaine", comme le rapporte l'historien Alphonse Fargeton, pour les propriétaires des lieux, le prieuré de Saint-Sernin-du-Bois et la dame de Montjeu.

La preuve la plus ancienne et la plus poignante de son installation date du 15 janvier 1730 : l'inhumation dans l'église de Saint-Sernin de sa fille Marie, âgée de deux ans. Ce drame intime confirme que la famille est déjà sur place, dans une entreprise à peine naissante.

Acte de sépulture de Marie, fille de Jacques de Sarode gentilhomme verrier demeurant à Prodhun, le 15 janvier 1730

Modestes commencements et naissance d'une entreprise (1730-1731)

Loin de l'image d'une installation fastueuse, les débuts de la verrerie sont marqués par la prudence et l'économie. L'Abbé Sébille, dans son ouvrage de 1882, Saint-Sernin-du-Bois et son dernier prieur, nous livre des détails précieux sur ces "modestes commencements" (p. 85-86).

Le premier établissement était probablement précaire, fait de planches et de bois. Ce n'est qu'après plus d'un an d'activité que Jacques de Sarode investit dans la pierre. Un acte notarié capital, passé le 8 juillet 1731 devant Me Lapierre, notaire à la Croix-de-Saint-Sernin, nous apprend qu'il verse 610 livres "à-compte sur la maçonnerie qu'il fit faire à Prodhun". Le détail des travaux est précis : "la maison où il réside, une écurie contiguë aux halles où sont construits les fourneaux à verre, lesdits fourneaux et tout ce qui dépend de la-dite halle" (Source: AD 71, cité par Sébille).

Cette modestie se retrouve dans la vie même des gentilshommes verriers venus l'assister, comme Pierre de Fassion, sieur de Rizet. Son fils épouse Jeanne Léger, fille d'un marchand de bois de Prodhun. Le trousseau et le douaire de la mariée sont qualifiés de "très modiques". Dans sa correspondance, la mère du jeune homme, Claudine de Marcius, lui "recommande l'économie" et estime que l'envoi des publications de bans lui coûte la somme non négligeable de 20 livres. Ces détails révèlent une réalité tangible : même pour l'élite verrière, chaque sou compte dans la création d'une nouvelle entreprise.

La vie de la Manufacture - Un creuset des savoir-faire européens

Dès la fin de l'année 1730, l'activité est bien lancée. Le mariage, le 14 novembre, de Philibert Bauclair, "fondeur à la verrerie", en présence des maîtres François de Condé, gentihomme verrier, et Louis Ourlier, verrier, le confirme.

Acte de mariage de Philippe Bauclair, fondeur à la verrerie de Prodhun, le 14 novembre 1730

Une fois l'entreprise établie, même modestement, son succès repose entièrement sur la qualité de ses hommes. Jacques de Sarode, en entrepreneur avisé, ne se contente pas d'embaucher de la main-d'œuvre : il assemble une équipe de spécialistes venus des plus grandes régions verrières de France. La composition de son personnel d'encadrement fait de Prodhun un carrefour, un "All-Star Game" de la verrerie française du XVIIIe siècle, où les plus grandes traditions se rencontrent, collaborent et se mêlent.

Le pôle Italo-Dauphinois : le réseau des Alpes

Au cœur de ce réseau se trouve bien sûr Jacques de Sarode lui-même, porteur de la tradition verrière la plus prestigieuse, celle d'Altare, transmise via la grande manufacture de Nevers. Il va logiquement s'appuyer sur des familles qui connaissent et respectent ce savoir-faire.

La présence de Pierre de Fassion, sieur de Rizet, en est l'exemple le plus frappant. La famille de Fassion est une très ancienne et noble lignée de verriers du Dauphiné, particulièrement active au XVIIe siècle dans les forêts de Chambaran et de Bonnevaux. Or, votre confirmation est ici essentielle, Arnaud : dans cette région de la Côte-Saint-André et de Roybon, les Fassion ont étroitement collaboré avec d'autres familles verrières d'origine altaraise, comme les Borniol.

La venue de Pierre de Fassion à Prodhun n'est donc pas le fruit du hasard. C'est l'activation d'un réseau professionnel préexistant. Un descendant d'Altare (Sarode) fait appel à un membre d'une famille dauphinoise (Fassion) réputée pour sa collaboration efficace et sa proximité culturelle avec les maîtres italiens.

Les pôles de l'Est et du Sud : la France verrière représentée

À ce noyau italo-dauphinois, Sarode adjoint des maîtres venus des autres grands centres verriers du royaume :

  • La tradition de l'Est : Représentée par François de Condé. Sa famille est l'une des plus illustres de l'Argonne et de la Lorraine, ces régions qui ont vu naître des verreries comme celle de Creutzwald. Il apporte avec lui le savoir-faire robuste et éprouvé de la frontière du Saint-Empire.
  • La tradition du Sud : Incarnée par les frères François et Antoine de Virgile. Ils sont issus d'une dynastie de gentilshommes verriers du Languedoc, principalement du Gard (Gaujac, Valbonne). Ils représentent la grande tradition méridionale du verre. Antoine de Virgile sera d’ailleurs maître de la verrerie de Roussillon en 1757.

Les traditions "germaniques" : l'apport de la Savoie, de la Suisse et de la Franche-Comté

Pour compléter son équipe, la verrerie accueille des artisans formés dans la sphère d'influence "germanique", apportant des techniques et une culture du travail spécifiques :

  • La famille Godard, originaire de Savoie, est l'une d'elles, sans doute la plus représentée à Prodhun. Thomas Godard, né à Chatey et que l'on retrouve à Prodhun dès sa fondation, est un verrier itinérant, passé par l'éphémère verrerie de l'Isle-sur-Doubs et dont les ancêtres ont travaillé dans les verreries de Chatey mais surtout de Lobschez (Soubey) dont ils sont à l'origine. Il est l'héritier de la tradition verrière de l'arc jurassien. De nombreux Godard seront encore présents dans la région après la fermeture de la verrerie.
  • La famille Rapp, avec la naissance de Jean Baptiste Rapp le 8 septembre 1784, fils de Michel Rapp, souffleur de verre à Prodhun.
  • La famille Fleury, dont Pierre Fleury, maître souffleur, veuf de Catherine Raspiller. Né dans le Canton de Soleure vers 1657, passé par Soubey dans les Franches-Montagnes et Ronchamp, il se remarie le 12 août 1732 à Saint-Sernin-du-Bois à l'âge de 75 ans !
  • La famille Brischoux, avec Jean Baptiste, attesté en 1782. Originaire du Bief d'Étoz (Franche-Comté), marié à Miellin en 1766, passé de 1770 à 1778 à la Manufacture de Pierre-Bénite, fondée par son cousin Joseph Esnard, il amène avec lui la culture verrière des contreforts du Jura et de Franche-Comté. Pour moi, il s’agit d’un ancêtre direct, et sa présence à Prodhun est le symbole de la fusion des traditions verrières de toute l'Europe. Il décède en 1789 à Varades.
  • La famille Stenger, plutôt mosellane que germanique, représentée par Nicolas Stenger, originaire de Trois-Fontaine, au diocèse de Châlons-sur-Marne, qui mourut à l'âge de 29 ans en 1773 à Prodhun, après avoir coulé, pour l'église de Saint-Sernin-du-Bois, un magnifique lustre de verre décoré d'émaux que les Sans-Culottes brisèrent durant la Révolution, un jour de fureur.

Une communauté locale et fidèle

Enfin, ce creuset est complété par des familles locales qui vont constituer le cœur battant et la mémoire vivante de l'entreprise sur plusieurs générations, comme les Dumay ou l'emblématique famille Vieillard. De Pierre Vieillard, "verrier en Prod'hun" en 1763, à son fils Philippe, qui exerce le même métier en 1787 (et a épousé la petite-fille de Thomas Godard, Françoise, le 28 janvier 1772), ils assurent la continuité de la production.

Ainsi, la petite verrerie de Prodhun, perdue au milieu des bois bourguignons, devient le théâtre d'une incroyable convergence de talents. C'est ce qui explique sa renommée et la qualité de sa production. Avec cette équipe de haut niveau, où se mêlent les influences italiennes, dauphinoises, lorraines, languedociennes, savoyardes et comtoises, la verrerie est prête à vivre ses plus belles années, avant que les bouleversements de l'Histoire ne viennent sceller son destin.

La chute - La Révolution et la ruine

L'incendie de 1776, une fin légendaire et romanesque

La légende, rapportée par Alphonse Fargeton, d'une fermeture brutale en 1776 suite au décès de Charles de Sarode (un incendie provoqué par sa veuve, folle de chagrin), est formellement démentie par les archives. La production continue au moins jusqu'au 13 février 1787, date du mariage de Philippe Vieillard, verrier à Prodhun. On trouve également mention de la verrerie dans un acte de baptême le 18 novembre 1790 à Saint-Sernin-du-Bois, celui de Charles Joseph Godard, fils de Melchior "aubergiste à la verrie [sic] de Prodhun". Le parrain est Charles Joseph de Sarode de Mussi, qui signe encore "Sarode de Mussy" (il signera plus simplement "Sarode" à partir de 1795 et reprendra son nom complet à la Restauration), le fils de Charles et petit-fils de Jacques, et donc dernier propriétaire de la verrerie.

Baptême de Charles Joseph Godard le 18 novembre 1790 à Saint-Sernin-du-Bois

Le 26 mars 1792 est baptisé Charles Vernot, toujours à Saint-Sernin-du-Bois. Le parrain est encore une fois "Charles Joseph de Saro [sic] de Mussi bourgeois à Prodhun" et la marraine "Benoîte Leclerc, demeurant également à la verrerie de Prodhun".

Baptême de Charles Vernot le 26 mars 1792 à Saint-Sernin-du-Bois

Charles Joseph de Sarode de Mussy est encore dit "marchand demeurant au Petit Prodhunt [sic]" le 19 août 1793, dans l'acte de naissance de Marie Minard à Saint-Emiland.

Naissance de Marie Minard le 19 août 1793 à Saint-Émiland

Enfin, "Joseph Sarode de Mussy citoyen propriétaire de la metairy de Prodhun" est témoin dans l'acte de naissance de Mary Fichot le 13 mai 1794 à Saint-Firmin.

Naissance de Mary Fichot le 13 mars 1794 à Saint-Firmin

La dernière mention de la verrerie dans les registres semble être 1792. Jusqu'à cette date, elle fonctionnait encore. Il est d'ailleurs probable qu'avant 1790, date à laquelle Charles Joseph a 21 ans, l'établissement ait été dirigé par sa mère, Marie Anne Juillet.

Comment, dès lors, expliquer la fin de l'entreprise et surtout, déterminer la date de sa fermeture ou transformation définitive ?

Le rapport Deroche : le constat officiel de la ruine

La clé nous est donnée par un document exceptionnel, cité dans le dixième tome des Mémoires de la Société Éduenne (Autun, 1881, p. 278). Il s'agit du compte-rendu d'une séance de la Société Libre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Autun, le 10 ventôse an X (1er mars 1802). Ce jour-là, le citoyen Deroche présente un rapport sur l'état des industries locales. Ce qu'il dit de Prodhun est un véritable diagnostic d'expert :

(...) à cette époque [1802] (...) la verrerie de Prodhun (...) existai[t] encore, mais dans un état complet de décadence.

Plus important encore, Deroche identifie la cause de cette ruine avec une précision implacable : elle est

(...) une conséquence de la Révolution, des dilapidations forestières qu'elle a entrainées et du défaut de combustible qui en fut la suite.

L'explication est ici, limpide et officielle. La Verrerie de Prodhun, dont la survie dépendait entièrement du bois, a été une victime directe de la gestion anarchique des forêts durant la période révolutionnaire. Le pillage des ressources a privé la manufacture de son combustible, signant son arrêt de mort économique. Le manque de bois a éteint les fours bien plus sûrement que le chagrin d'une veuve. Ce rapport met également le destin de Prodhun en perspective, le liant à la concurrence des "grands établissements du Creusot". La chute de Prodhun symbolise ainsi la fin d'un monde : celui de l'industrie forestière artisanale, qui s'efface devant l'ère nouvelle du charbon et de la grande industrie.

Sur les traces de la Verrerie - La géographie d'un souvenir

Même ruinée, la verrerie survit en tant que lieu. En 1800, André Vieillard, fils de verrier, y réside toujours, mais comme simple "manœuvre". Il (re)prendra le métier de verrier plus tard, à Épinac puis Givors. Le site, localisé à l'emplacement de l'ancienne "grange et fief de l'abbaye de Maizières", a laissé une trace indélébile dans le paysage : le lieu-dit "La Verrerie", qui figure encore sur les cartes de la commune d'Antully, est l'ultime témoin de cette épopée. Les familles, elles, se sont repliées à quelques kilomètres, par exemple Philippe Vieillard au lieu-dit voisin de Bouvier, proche de Saint-Firmin, où se trouvait une forge dès la fin de l'Ancien Régime. La carte de Cassini, dont un extrait ci-dessous montre un énigmatique bâtiment "Petit Produn" au milieu des Bois entre Antully et Saint-Sernin, positionne la Verrerie de manière totalement erronée à l'est d'Antully (en haut de l'image). Ultime ironie de l'histoire qui faillit plonger à jamais cet établissement étonnant dans l'oubli.

Carte de Cassini - Extrait montrant le Bois de Prodhun (vers 1750)

Conclusion : l’épopée retrouvée

De la prestigieuse ascendance de son fondateur à l'analyse clinique de sa chute par le citoyen Deroche, l'histoire de la Verrerie de Prodhun est désormais complète. Ce n'est plus seulement l'histoire d'une entreprise, mais le symbole d'un modèle économique qui a prospéré grâce à la forêt et qui a été ruiné par sa destruction. C'est l'histoire d'un creuset humain et technologique, où l'héritage d'Altare a rencontré les traditions de Savoie, de Lorraine et de Franche-Comté. Et c'est finalement l'histoire d'une mémoire, sauvée de l'oubli par la lecture patiente des archives, qui nous restitue aujourd'hui, dans toute sa richesse, une page de l'aventure humaine et industrielle de la Bourgogne.

Personnalités Clés

Jacques de Sarode (1686 - 1763)

Maître de verrerie1730 - 1763

Charles de Sarode (1731 - 1776)

Maître de verrerie1763 - 1776

Charles Joseph de Sarode (1769 - 1824)

Maître de verrerieenv. 1790 - env. 1800

Verriers Associés

Jean Baptiste Brischoux (1744 - 1789)

Souffleur de verreavant 1781 - après 1784

Galerie d'Images

Carte de Cassini - Extrait montrant le Bois de Prodhun (vers 1750)

Carte de Cassini - Extrait montrant le Bois de Prodhun (vers 1750)

Sources

  • Saint-Sernin-du-Bois et son dernier prieur J.-B.-A. de Salignac-Fénelon par Abbé Sébille (Jules Gervais, Paris, 1882, p. 85-86) [Lien]
  • Mémoires de la Société Éduenne, tome 10 par Société Libre d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres d'Autun (1881) [Lien]
  • Les grandes heures du Creusot et de la terre de Montcenis par Alphone Fargeton (Buguet-Comptour, 1958, pages 78 et suivantes.)
  • Verriers et verreries en Franche-Comté au XVIIIe siècle par G.-J. Michel (Tome 2, page 515.)
  • Saint-Sernin-du-Bois-Baptêmes-Mariages-Sépultures - 1783-1792 - E dépôt 3259 par Archives Départementales de Saône-et-Loire (Vues 156 et 198 / 203.) [Lien]
  • Saint-Firmin-Naissances - 1793-1802 par Archives Départementales de Saône-et-Loire (5 E 413/1, vue 13/92) [Lien]

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